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En librairie

Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche d’analyse

Une stratégie nouvelle pour la paix : premiers enseignements de l’intelligence humanitaire

Deux piliers de la paix : la démocratie et le développement, la nécessité d’une éthique de la gouvernance

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Le monde change. Dévastée puis convalescente au sortir du conflit de 1939-45, hier marquée par la guerre froide, la planète vit aujourd’hui au rythme de la mondialisation. Evolution multidimensionnelle, celle-ci génère des changements dans tous les domaines ( économique, politique, militaire, culturel).

Avec, en plus de cela, le formidable essor scientifique et technologique, c’est un monde d’interactions et d’interdépendances qui se dessine, et c’est l’histoire qui s’accélère. Et pourtant, la mondialisation n’est pas l’universalisation. « Les peuples, analyse René Rémond, s’avisent aussi de ce qui fait leur originalité, et la crainte de perdre leur identité (…) les y attache davantage (…). Les diverses régions du monde (…) n’évoluent pas au même rythme. Leurs histoires passées sont par trop dissemblables » (1). L’on assiste ainsi à ce double processus d’une articulation du local par rapport au global, et d’un antagonisme entre les logiques d’intégration et de fragmentation.

Ce caractère nouveau des relations internationales laisse poindre de nouveaux enjeux et de nouveaux défis. On avance l’idée selon laquelle une ligne de fracture nord/sud, un clivage entre les pays riches et les pays pauvres aurait succédé à l’opposition est/ouest du monde bipolaire de la guerre froide. Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 contre les “tours jumelles” du World Trade Center à New-York n’ont pas, contrairement à ce qui a pu être dit, bouleversé la donne géopolitique et stratégique de la planète. Si l’on peut en revanche leur reconnaître des effets, c’est dans la “conscientisation” qu’ils ont fait naître dans les esprits que les changements provoqués par la chute du Mur de Berlin en 1989, rupture fondamentale celle-là (en tant que date symbolique consacrant la fin de la guerre froide et annonçant la chute de l’Empire soviétique), et l’affirmation démocratique comme « fin de l’histoire » proposée dans la foulée, restaient bien fragiles et incertains.

Avec la mondialisation, dont on peut dire qu’elle est d’une certaine manière l’héritière de ce basculement géopolitique, les données fondamentales de l’économie, de la politique, du social, ont été modifiées. Or, selon Laurent Murawiec, il ne peut y avoir « de grand changement sans grand déséquilibre et sans grande dislocation » (2), qui se traduisent la plupart du temps de manière conflictuelle. La réalité veut qu’aujourd’hui la paix constitue un état de fait au sein du “pôle occidental” (Amérique du nord, Europe de l’ouest, Japon). Mais ce constat ne doit pas en faire oublier un autre tout aussi objectif : la carte conflictuelle que l’on peut dresser à l’échelle du globe révèle des foyers de tensions nombreux partout à travers la planète : Amérique latine, Afrique, Proche-Orient, Asie centrale…. Il est plus que jamais nécessaire de s’interroger sur la résolution des conflits et sur la paix, vues non comme une utopie mais comme un idéal reposant sur des piliers solides et sur une action structurelle visant à modifier les données. Cela suppose lucidité, clairvoyance, pragmatisme, volonté et éthique.

La guerre en ex-Yougoslavie, ou plutôt les conflits qui s’y sont succédé, sont révélateurs à la fois des insuffisances et des ambitions de la communauté internationale en matière de régulation de la violence. La paix est une affaire multidimensionnelle, dont les ressorts sont tout à la fois politiques, économiques, sociaux, psychologiques, symboliques. Elle a trait à l’identité de chacun et à la capacité d’une société à organiser, à gérer et à finaliser dans le temps la violence. Elle ne peut être imposée de l’extérieur mais doit s’enraciner dans un terreau local qui réunissent des conditions favorables à son avènement. Bref, elle est une construction complexe. A la lumière des enseignements balkaniques, on peut penser que l’intervention humanitaire, première étape sur la voie de la paix, doit être limitée dans le temps et s’inscrire le plus en amont possible de la crise, dans une perspective de développement. C’est ainsi l’objet des actions civilo-militaires, c’est aussi la réflexion qui sous-tend le concept de l’intelligence humanitaire, en tant que collaboration entre les acteurs politiques, économiques et ceux de la société civile, qui révèle l’intérêt stratégique de la paix, à travers notamment les chantiers de la reconstruction que celle-ci suppose. Dans cette optique, l’intelligence humanitaire vise la rentabilisation et la valorisation, par le biais de la captation de marchés, de l’ouverture de débouchés et du rayonnement politique et culturel qu’elle favorise, de l’engagement humanitaire. Loin d’être illégitime, une telle considération doit au contraire rendre “raisonnable” l’idée du développement durable.

L’intelligence humanitaire traduit aussi une autre réalité des relations internationales, qui est celle qu’a définie Edward Luttwak, en parlant d’une ère géoéconomique : les rivalités inter-étatiques, là où les rapports internationaux sont pacifiés, s’expriment désormais sur le terrain du commerce et de la finance, les priorités économiques ne sont plus occultées et passent au premier plan. Le statut d’un pays sur la scène mondiale dépendra de sa capacité à saisir les opportunités qui s’offrent à lui en la matière. De ce point de vue, les marchés de l’humanitaire recèlent un potentiel important, qu’une intelligence de l’environnement permet de valoriser. La France, dans ce domaine, a du retard par rapport à ses concurrents. On ne peut que souhaiter que, forte notamment de l’expérience balkanique, elle sache tirer les leçons qui lui permettront à l’avenir d’impliquer les responsables politiques et militaires, les entreprises et les organisations non-gouvernementales dans une même synergie. Il y va de son intérêt ; il y va aussi de l’intérêt des pays dans lesquels elle sera amenée à agir. Car si le développement n’est pas la paix, il y contribue. En réalité, on peut même dire que la paix repose sur deux piliers : .

  • la démocratie, en tant qu’état social tocquevillien et pas en tant que régime politique, c’est à dire les exigences de justice, d’équité et de reconnaissance de l’identité de chacun ;

  • le développement, en tant que moteur pour la création d’une richesse structurelle susceptible de soutenir cette exigence démocratique.

A l’échelle internationale, ces exigences se traduisent par une éthique de la gouvernance, par la conscience mondiale de l’existence d’enjeux transnationaux auxquels répond le jeu des responsabilités mutuelles et partagées. Ainsi que le déclarait Jean Monnet, parlant de l’Europe mais suivant un discours d’universalité : « aujourd’hui, nos peuples doivent apprendre à vivre ensemble (…), librement (…), s’ils veulent atteindre les dimensions nécessaires à leur progrès et garder la maîtrise de leur destin » (3).

Notes

Renvois du texte :

  • (1) René REMOND, Regard sur le siècle, Presses de Sciences-po, 2000, p.36

  • (2) Laurent MURAWIEC, La guerre au 21ème siècle, Paris, Odile Jacob, 2000, p.10

  • (3) Jean MONNET, Mémoires, Fayard, Le livre de poche, 1976, p.788