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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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, Paris, février 2003

L’accord de paix de Prétoria en République Démocratique du Congo

Un accord de paix qui donne l’impression d’un partage des dépouilles entre les belligérants.

Mots clefs : Concertation politique pour la paix | Accord de Paix | Défis dans la gestion de conflits locaux et internationaux | Acteurs Politiques. Des autorités politiques et militaires. | Organisations et acteurs politiques locaux non gouvernementaux | Autorités et Gouvernements locaux | Rechercher la paix. Agir pour la paix dans une situation de guerre. | Elaborer des propositions pour la paix | Proposer un plan de paix | Négocier pour rechercher la paix | Signer un Accord de Paix | Région des Grands lacs | République Démocratique du Congo

A l’image de la complexité des conflits des Grands Lacs et notamment celui qui déchire la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) depuis 1998, un accord de paix très complexe a été signé entre les belligérants le 16 décembre 2002 à Pretoria, en Afrique du Sud. La signature obtenue après un marathon de plusieurs pourparlers (Lusaka, Addis-Abeba, Sun City, etc.) est un en fait un accord sur le partage du pouvoir politique et économique, créant un pouvoir exécutif à cinq têtes :

  • Un président de la République ;

  • Quatre vice-présidents (dont deux représentants les mouvements armés rebelles) pour une durée de transition de deux ans.

Jusqu’à la dernière minute, les milices Mayi-Mayi ont fait de la résistance en refusant de signer. Cet accord est sensé résoudre les conflits pourtant multidimensionnels, notamment dans le Kivu, la partie orientale de ce pays adossée à l’Ouganda, au Rwanda et au Burundi et la région épicentre des tensions.

Dans cette région du Kivu, c’est au nord (Nord-Kivu) que les conflits ont eu plusieurs dimensions : inter-ethniques et intra-ethniques, régionales, anciennes et autour des enjeux fonciers. Ils remontent au début des années soixante, au lendemain de l’indépendance du Congo en 1960, avec le déclenchement de la guerre « Kanyarwanda » en 1963. Cette guerre qui a opposé les Banyarwanda (Hutu et Tutsi) aux Nande, Hunde et Nyanga de 1963 à 1965, faisait suite à la tentative des Banyarwanda d’élargir et de proclamer l’autonomie politique du territoire sur lequel ils étaient installés.

I. Déséquilibres démographiques et principaux pôles géo-ethniques au Nord-Kivu

Les principaux groupes ethniques dans la province du Nord-Kivu sont les Nande, les Banyarwanda (Hutu et Tutsi, parlant tous la langue rwandaise kinyarwanda), les Nyanga, les Hunde et les Tembo. Ces populations sont divisées en deux catégories :

  • D’un côté les autochtones déjà présents au Congo en 1889, date de la définition des frontières du Congo à la Conférence de Berlin. Parmi ces autochtones se trouvent les Nyanga, les Hunde, les Tembo et des Banyarwanda.

  • De l’autre côté, les transplantés ou les immigrés - Banyarwanda installés au Congo dès 1es années 20-40 par un programme colonial belge pour les plantations et l’effort de guerre - et les réfugiés tutsi rwandais de 1959 - à la suite de la « révolution sociale » des Hutu au Rwanda. Le groupe Banyarwanda congolais regroupe donc des autochtones, des immigrés et des réfugiés.

Sur le plan administratif, le Nord-Kivu, en excluant la ville de Goma, est divisé en cinq territoires : Beni, Lubero, Masisi, Rutshuru et Walikale.

Mais en tenant compte des ethnies et de ces deux catégories de population, la province du Nord-Kivu s’était toujours caractérisée par trois pôles :

  • Le pôle Beni et Lubero, exclusivement peuplés des Nande ;

  • Le pôle de Rutshuru occupé majoritairement par les Banyarwanda autochtones ;

  • Le pôle de Goma-Masisi-Walikale.

Ce dernier pôle, bien qu’hétérogène sur le plan ethnique (Hunde, Tembo et Banyarwanda dans le Masisi, et Nyanga dans Walikale), présente néanmoins une caractéristique commune : c’est la zone où sont concentrés les Banyarwanda transplantés et réfugiés de 1959 et où se pose aussi le problème des conflits fonciers, notamment dans les territoires de Masisi et de Walikale.

A ces trois pôles s’ajoute les paramètres démographique et politico-économique. En effet, les Nande et les Banyayarwanda, les deux groupes majoritaires qui se sont toujours disputés le leadership économique et politique de la province. Cette compétition a donné naissance à une évolution constamment orientée vers des affrontements utilisant le registre militaire, foncier, institutionnel et régional, tout en se nourrissant du contexte national rwandais comme accélérateur ou amplificateur des tensions internes du Kivu.

II. La guerre Kanyarwanda (1963-1965)

Au cours de la période d’instabilité politique ayant suivi l’accession du Congo à l’indépendance, le 30 juin 1960, le Nord-Kivu connaît en juillet 1963 son premier conflit ethnique armé, entre les Banyarwanda (Tutsi et Hutu de Masisi et de Goma) et les autres ethnies (Nande, Hunde et Nyanga). Les zones les plus touchées seront celles de Masisi et de Goma. Ce conflit est le résultat du mouvement politique connu sous le nom de « autonomie des provinces » (ou « provincettes ») qui commence en 1962 et qui débouchera sur la création de 21 « provincettes » au total pour l’ensemble du pays.

En effet, le leader Nande et ministre de l’Agriculture du gouvernement provincial (du Grand Kivu, à l’époque), Denis Paluku, déclare l’autonomie du Nord-Kivu. Mais ses deux collègues Tutsi originaires du Rutshuru, Cyprien Rwakabuba (Ministre provincial de l’Éducation), Jean-Nepocène Rwiyereka (Ministre provincial des Finances) et le Commissaire de district du Nord-Kivu, Herman Habarugira (un autre Tutsi) s’y opposent. Une coalition ethnique regroupant les Hunde, les Nyanga et même les Hutu de Rutshuru soutient le projet d’autonomie contre une fédération rassemblant les Tutsi et les Hutu de Masisi, ceux des environs de Goma et une partie de ceux du Rutshuru (Bwito). Une expédition militaire réprima cette opposition en l’accusant de collusion avec la rébellion muléliste.

Pendant plus de deux ans, le conflit va donc opposer les deux groupes : les Banyarwanda (Hutu et Tutsi) de Masisi d’un côté et, de l’autre, les Nande, les Hunde et les Nyanga. À l’arrivée au pouvoir de Mobutu en novembre 1965, il y aura suppression des 21 « provincettes », dissolution de la police provinciale et mutation des autorités politico-administratives impliquées dans ce conflit. Ces mesures furent suffisantes pour mettre fin au conflit, mais les rapports entre groupes ethniques opposés ne seront pas pour autant pacifiés.

Les ingérences politiques des régimes rwandais successifs

Les Banyarwanda du Nord-Kivu sont divisés en deux groupes sociaux, à savoir les Hutu et les Tutsi, deux principales composantes de la population du Rwanda voisin. Les différents événements politiques survenus dans ce pays depuis 1959 et opposant les deux groupes, ont eu un impact double au Nord-Kivu, à savoir :

  • 1. Du point de vue démographique et socio-économique, l’arrivée des réfugiés Tutsi et leur installation dans le territoire de Masisi qui, plus tard, va connaître un essor économique important à cause de ces immigrés et qui ne sera pas au goût des populations autochtones Hunde, devenues minoritaires sur leur territoire d’origine et n’étant pas bien intégrées dans cette nouvelle dynamique du développement ;

  • 2. Du point de vue politique, une exportation des conflits internes du Rwanda au Congo à travers le clivage ethnique hutu-tutsi.

Pendant la guerre dite « Kanyarwanda », le régime rwandais du président Kayibanda, hutu, est intervenu aux côtés des Hutu. Cela a eu pour effet d’affaiblir le « bloc » Banyarwanda du Congo. Durant la guerre du Front Patriotique Rwandais (FPR) contre le régime Habyarimana, celui-ci s’est investi dans la déstabilisation des Tutsi du Congo, en utilisant les autorités politico-administratives des deux provinces du Kivu. De même, il envoyait des agents dans les communautés rwandophones du Nord-Kivu en leur donnant comme mission de dresser les Hutu contre les Tutsi du Congo. C’était en quelque sorte une réponse à l’enrôlement massif des jeunes Tutsi originaires de cette province dans le FPR. Ainsi, le conflit inter-ethnique au Nord-Kivu deviendra également intra-ethnique, opposant les Banyarwanda hutu et tutsi.

III. Le développement agropastoral du territoire de Masisi

À partir de 1977, le territoire de Masisi connaît un essor économique sans précédent, avec la mise en place de fermes de type moderne par les Tutsi. Cela va créer deux problèmes majeurs pour la population autochtone :

  • D’une part, la création de ces fermes modernes qui suppose au préalable l’acquisition de terres et cela, au détriment des paysans. En effet, dans cette province comme sur toute l’étendue du territoire zaïrois, une ambiguïté du régime foncier règne où cohabitent un système foncier traditionnel géré par le chef coutumier - garant communautaire des terres - et un autre système lié aux autorités administratives de l’Etat et pouvant faire de la terre une propriété privée.

  • D’autre part, cette nouvelle forme de richesses fait non seulement perdre leurs terres aux agriculteurs, mais consacrera leur marginalisation complète dans la nouvelle organisation économique et foncière. Les mécontentements de la population laissée ainsi pour compte seront repris, reformulés et instrumentalisés par l’élite politique de la région. Le résultat en est l’identification des Tutsi (parmi lesquels se trouvent des autochtones, des immigrés, des réfugiés et des clandestins) aux étrangers et usurpateurs des droits des Congolais.

IV. Les lois contradictoires sur la nationalité

Sous la pressante instigation de Barthélémy Bisengimana, tutsi et directeur de cabinet du président Mobutu, une loi est imposée en 1972 proclamant collectivement la nationalité zaïroise à tous les Banyarwanda du Kivu. Grâce à la zaïrianisation (attribution des entreprises appartenant aux étrangers à des ressortissants zaïrois, en 1973), cette loi accordait aux nouveaux nationaux le pouvoir de contrôler le secteur économique du Kivu. La loi souleva la désapprobation des populations autochtones. Ainsi, une nouvelle loi fut édictée en juin 1981, annulant celle de 1972 et mettant en place l’acquisition de la nationalité zaïroise par naturalisation individuelle. Mais dans le contexte conflictuel, les Banyarwanda furent affectés, notamment les « Banyarwanda autochtones » du Masisi, où étaient concentrés les Banyarwanda immigrés (de 1920-1940) et les réfugiés Tutsi de 1959 et 1963. De ce fait, la loi rendait la majorité de la population de ce territoire apatride. Leur nationalité était « douteuse ». Cette loi et les politiciens zaïrois entretenaient la confusion, car la mesure s’appliquait à tous les Banyarwanda (Hutu et Tutsi), même à ceux de souche autochtone au Rutshuru. L’application de ces deux lois s’est révélée problématique, la plupart des registres d’état civil ayant été détruits et brûlés par les populations visées afin de rendre la loi inapplicable.

V. La création de la mutuelle MAGRIVI

En 1982, un groupe de Hutu congolais crée la MAGRIVI (Mutuelle des Agriculteurs de Virunga), une association exclusivement réservée aux Hutu à laquelle aucune autre ethnie de la province n’avait accès. Des Hutu rwandais qui agissaient dans l’ombre, notamment des personnalités politiques. Cette mutuelle, va bientôt servir de tête de pont au régime Habyarimana auprès de la communauté Hutu congolaise pour poursuivre sa politique de division des Banyarwanda suivant le modèle mis en place au Rwanda Cette collusion rwandaise révèle l’influence des événements et des politiques du Rwanda dans le développement du conflit au Nord-Kivu, en particulier avec l’onde de choc du génocide en 1994.

L’arrivée massive des réfugiés, des ex-Forces Armées Rwandaises et des Interahamwe en 1994.

Avant le génocide au Rwanda, un conflit opposait les Banyarwanda d’un côté et, de l’autre, les Nande, les Hunde et Nyanga. Avec l’arrivée de ces réfugiés rwandais au Nord-Kivu, les alliances changent de nature. Dans le Masisi, par exemple, les Tutsi et les Hunde combattent contre les Hutu congolais et rwandais (ex-FAR et Interahamwe). Mais il reste toujours cette question de nationalité qui est mal résolue. Ainsi, en 1996, un groupe armé des Banyamulenge, sous-groupe des Banyarwanda, déclare une rébellion dans le Kivu. C’est la rébellion des Banyamulenge qu’une Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) portera à bout de bras, avec le motif avancé de rémédier à l’exclusion politique ces populations se sentent victimes. Avec cette rébellion, les Tutsi qui avaient fui les violences et s’étaient enrôlés dans les rangs de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) sont revenus au Kivu comme des militaires de l’APR. Ce qui a contribué à changer le « doute » sur la nationalité zaïroise en conviction sur la non-nationalité : ces Tutsi du Kivu sont bien des rwandais. Sur le plan identitaire, la guerre de l’AFDL fut l’occasion d’un double renforcement du clivage entre Hutu-Tutsi congolais d’un côté et, de l’autre, entre Tutsi et les autres communautés. En termes plus clairs, la guerre (1996-1997) qui renversa le régime de Mobutu et celle menée depuis 1998 encore en cours, a amplifié les antagonismes interethnique et intra-ethnique qui caractérisent les conflits au Nord-Kivu. Elles n’ont pas réussi à résoudre la question de la nationalité et d’exclusion des Banyarwanda. Au contraire, les relations restent très tendues, les milices d’auto-défense se sont multipliées en exacerbant les violences.

VI. Un contexte actuel incertain malgré les accords

L’arrivée massive des réfugiés rwandais au Kivu en 1994, l’exil des Tutsi au Rwanda à partir de 1995, la première guerre en 1996 et la deuxième guerre en 1998 ont modifié plusieurs éléments sur lesquels reposaient la dynamique des conflits dans la province du Nord-Kivu :

  • Le pôle Lubero-Beni a pu se maintenir intact au cours de ces événements ;

  • Les deux autres, Rutshuru et Masisi-Walikale-Goma ont été complètement déstabilisés, principalement à cause des pillages et des pillages qui ont ravagé les populations civiles autochtones et banyarwanda.

Par ailleurs, les conflits ont revêtu plusieurs natures : identitaire, foncier, politique, avec une dimension désormais régionale avec l’implication militaire du Rwanda et de l’Ouganda au Congo. La scission interne du groupe rebelle qui contrôle cette province depuis 1999 a poussé à diviser le territoire du Kivu en deux parties suivant la ligne de démarcation entre les deux secteurs militaires ougandais (RCD-ML/Mbusa Nyamwisi) et rwandais (RCD-Goma). Par ailleurs, le pôle Lubero-Beni, encore dynamique et exclusivement Nande, est le seul à se retrouver dans la zone sous influence ougandaise. Les tensions apparues entre l’Ouganda et le Rwanda ont davantage renforcé l’animosité entre les Banyarwanda et les Nande. Aussi, les milices autochtones Mayi-Mayi, opérant dans la province sont divisées en deux grands groupes :

  • Les Mayi Mayi Nande, actifs sur les territoires de Lubero et de Beni ;

  • Et ceux opérant de Masisi et Walikale.

Le deuxième groupe est formé des Hunde et Nyanga (sous le leadership du général Padiri) et est allié aux Interahamwe et aux ex-FAR. Les Mayi Mayi Nande sont opposés idéologiquement à tous les Banyarwanda (Tutsi et Hutu), mais les Hunde et Nyanga, à cause de leur alliance avec des Interahamwe, mènent leur lutte pour le moment contre les Tutsi rwandais et du Congo. En dépit de cette dynamique du conflit, la commission provinciale de la réconciliation, en activité depuis fin 1997, ainsi que d’autres initiatives locales ont permis de renouer le dialogue entre les divers groupes ethniques, mais la portée de leurs actions demeure très limitée en raison du contexte de guerre dans la région. Plus que jamais, la guerre est devenue une affaire lucrative, à cause de l’exploitation artisanale des ressources naturelles – notamment celle du coltan (colombo-tantalite) - devenue l’activité économique dont se nourrissent les économies rwandaise et ougandaise dans la guerre en République Démocratique du Congo.

L’engouement vers cette exploitation des ressources naturelles rares a eu des conséquences importantes dans l’économie de la région. D’une part, l’abandon du secteur agro-pastoral qui fut pendant longtemps la principale richesse de la province et de l’autre la criminalisation de l’économie par l’implication de ces bandes armées dans l’exploitation de ces matières premières, ainsi que d’autres groupes mafieux étrangers. Tout cela s’inscrit dans le cadre de l’exploitation illégale des ressources naturelles par les troupes étrangères impliquées dans ce conflit. Bref, le risque de voir se prolonger la guerre, malgré cet accord et la présence des observateurs de la Mission des Nations-Unies pour le Congo (la MONUC), est important en raison de la rentabilité de ces rapines organisées. Enfin, résultat croisé de l’abandon des travaux agricoles et de l’insécurité militaire, une crise alimentaire sans précédent s’abat dans les campagnes, accompagnée du renchérissement du coût de la vie dans les centres urbains. Loin de prendre en considération toutes ces dimensions, l’Accord signé à Pretoria s’est limité à partager le pouvoir entre les belligérants en donnant une sorte de gage d’impunité aux seigneurs de guerre. C’est la paix des belligérants, un partage des dépouilles. L’observation qu’on en tire est qu’il faut recourir aux armes pour accéder aux pouvoirs. Quel avenir peut porter une telle paix ?